MAGMA

par Antoine de Caunes (1978)

 

 

A l'origine, la couverture de 1001 C devait être gris métallisé, avec le sigle noir en surimpression. Christian tenait beaucoup à la présence massive de ce sigle, symbole, à son avis, de puissance et d'effroi, et propre à édifier dans la tête des gens une image du groupe. Hélas! Ce n'était pas l'opinion de Philips et du plaisant artiste méconnu qu'était Roland Hilda, pour qui Magma II signifiait compilation du premier album. De plus, idée exquise, puisque l'on parlait de " magma ", ce dernier considéra comme indispensable que l'on pût voir de la lave en fusion. A mille lieues de cet esthétisme du show-biz français, l'idée de Christian était pourtant fort simple: sur toutes les pochettes, le sigle devait être reproduit, successivement mêlé aux différents éléments (Air, Terre, Eau, Feu). Idée, comme on s'en rend compte, tout à fait irréalisable, et en tout cas absolument pas rentable.

Sortie de l'album vers le mois de juin : " Ne pardonnez pas. "

Cette violence quotidienne, cette position de démiurges qui refusent leur pardon, dérangent visiblement tout le monde. "Que faire de Magma? se demande Jean-Pierre Lentin dans Actuel. " En deux ans d'existence, deux albums et un nombre de concerts qu'il aurait aimé plus important, le groupe s'impose comme le plus grand espoir du rock français, et comme sa plus grande épine au pied. Tout le monde s'incline devant la musique. Mais Magma dérange, bouscule, inquiète. L'originalité obstinée et dédaigneuse de Magma fait grincer les dents. La scène pop française qui somnolait doucement ne s'en est pas encore remise. La presse pop oscille entre le dithyrambe et la diffamation. Le plus souvent, les "spécialistes" gardent respectueusement leurs distances... Le phénomène ne se limite pas aux réticences de quelques personnes en place. Plus d'un amateur de pop recule encore. Magma fait peur et les âmes sensibles "flippent à sa musique ".

Au festival de jazz de Montreux, l'accueil du public et de la presse est en revanche complètement enthousiaste. Pour les musiciens, le ciel commence à s'éclaircir, et devient tout à fait bleu avec la rencontre décisive, entre deux concerts, de Giorgio Gomelsky, par l'intermédiaire de Faton. Celui-ci, après avoir lu une interview de G.G. dans un journal français, est immediatement persuadé que " "c'est l'homme qu il nous faut ". Gomelsky est invité à un concert à la Mutualité, et se déclare très "intéressé ", n'ayant pas pensé jusqu'à ce jour qu'un tel groupe pouvait exister en France. Après s''être occupé des Roilling Stones, le voilà qui a le coup de foudre pour Magma! Il décide pour commencer de leur organiser une tournée dans les M.J.C.

En attendant, le groupe joue à la Cartoucherie de Vincennes, au Théâtre du Soleil, et enregistre à Hérouville l'album Uniweria Zekt. Ce n'est pas véritablement de la musique Magma, même si les musiciens font tous partie du groupe, mais plutôt un disque de tentatives, dans des directions autres. La musique est composée à la fois par Vander et les autres musiciens, et Engel revient jouer spécialement pour l'album. On a l'étonnant plaisir d'y entendre Klaus chanter en anglais. Notons au passage que la maquette de ce disque fut conçue, au début, pour servir de musique à un film qui s'avéra par la suite désastreux, et dont nous rappellerons ici le titre, par bienveillance pour les cinéphiles qui nous lisent peut-être: Vingt-quatre heures seulement (le film devait illustrer, subtile métaphore, un reportage sur la course du Mans).

Une anecdote insolite mérite d'être contée. Dans le premier album, Christian et Klaus, avant l'enregistrement, font des invocations au " Wurdàh Khomputeur ", robot destructeur de la mythologie kobaïenne dont nous serons amenés à reparler, et qui se manifeste en rêves par des sifflements très aigus. Or, dans " Undïa ", on entend très clairement ces sifflements, que personne dans le studio n'avait joués, et qui tombent, aussi bien rythmiquementqu'harmoniquement, parfaitement en place.

A la fête de l'Humanité, où ils jouent en septembre 1971, tout se passe bien, sauf que ça sent la frite et les merguez, ce qui chatouille les sens olfactifs et néanmoins végétariens de Klaus!

Au Gibus, qui devient l'un des lieux habituels de passage, le groupe attire un public de plus en plus nombreux, et il semble, à ce moment-là, que l'époque où seuls les groupes anglais parvenaient à remplir ce club est enfin révolue. Jean-Paul Commin estime en spectateur assidu que " l'accueil de plus en plus fervent du public est encore trop timide. Le succès de Magma reste un succès alors qu'il devrait pouvoir atteindre le stade du triomphe... Quand Magma sera-t-il reconnu à sa juste valeur, celle d'un des groupes les plus passionnants à l'heure actuelle? "

Lors de leur premier concert en Belgique, ils rencontrent les musiciens d'un orchestre travaillant sensiblement dans le même esprit, " Arkham ", et dont deux des musiciens, Jean-Luc Manderlier et Daniel Denis, joueront dans Magma par la suite (seulement un concert pour le deuxième). Ils enregistrent la première version de " Mekanik " sur 45 tours, répètent quelque temps chez Gomelsky et entreprennent donc la fameuse tournée des Maisons des Jeunes et de la Kultur.

Rappelons ici que Magma est le premier groupe à avoir tracé la route de ces concerts, qui, jusqu'alors, était totalement inconnue. A cette époque-là (1971) c'est l'aventure complète, et aussi une galère de premier choix. Le public est infime, quand il existe, et chaque musicien touche de 20 à 30 F par concert. Au mieux, si beaucoup de spectacles ont eu lieu, le mois d'opulence rapporte deux mille francs par tête, pour tenir.., trois mois plus maigres. Dans cette période décisive de la vie d'un groupe, Magma fait preuve d'un acharnement hors de pair. Le public commence à grossir, à la fin des tournées. Ils jouent partout, parfois devant dix spectateurs, dans les clubs, les salles des fêtes, souvent dans des endroits où il n'y a jamais eu de concert. Si le groupe veut se faire connaître sans passer par les chemins plus ou moins boueux de la voie officielle, il a aussi en vue de créer un circuit utilisable par la suite par des groupes travaillant dans le même esprit. Mais si cela paraît simple en apparence, Magma s'aperçoit très vite que l'intention est détournée et même inversée. Les groupes qui refont le même parcours maintenant n'ont plus rien à voir avec les ambitions rêvées du début. Aujourd'hui, les gens se déplacent pour aller voir les innombrables groupes de rock, et les organisateurs font du fric. Quant à l'esprit, il s'est une fois de plus envolé. Les gens ont simplement reporté leurs goûts sur de nouvelles choses qui en elles-mêmes n'ont pas plus de valeur que les anciennes le problème reste le même, et entier. Magma pensait faire évoluer le goût des gens en allant les voir dans leurs vies. Des choses se mirent à bouger comme on s'en rendit compte par la suite, mais la déception était là. Le réel rentrait dans la danse.

" Le circuit, dit Vander, à cette époque, pour tenir le coup, ne pouvait pas, bien sûr; ne comprendre que Magma. Il fallait d'autres groupes, de qualité analogue, et comme ils étaient impossibles à trouver (en dehors de Zao), on a sombré dans les pires débilités, dans des musiques contre lesquelles nous avons combattu (je parle ici des professionnels, des gens connus). Nous avons lutté (nous luttons) pour une musique qui puisse sortir d'Europe, sans être influencée par la musique anglosaxonne."

Au mariage de Michel Magne, au château d'Hérouville, le groupe vient jouer, après Herp Albert. Christian et Klaus sont présentés à Jean Yanne par Magne, qui fait les musiques de ses films. Yanne, après les avoir écoutés, leur propose une musique de film qui n'aboutira finalement, faute de temps, qu'à un morceau joué dans" Moi y 'en a vouloir des sous." Herp Albert s'emballe lors du passage du groupe et décide de les aider à fuir leur maison de disques. Il les aide à entrer chez A & M Los Angeles, chez qui il enregistre lui-même. La journée est belle pour tout le monde...

Un concert à l'Olympia clôt la série des tournées françaises. Pendant que le groupe part pour la Belgique et la Hollande, Gomelsky entreprend le recensement des salles moyennes, les M.J.C. étant devenues trop petites. Des associations se créent pour organiser les concerts, parmi lesquelles on peut saluer au passage le travail de base de gens comme Michel Grèzes de Tartempion, à Toulouse. Gomelsky, Magma, Jacques Pasquier et Georges Leton (qui sera le futur manager) fondent "Rock Pas Dégénéré ", qui s'installe dans les locaux du journal Actuel. Une quinzaine de groupes (dont Gong, Zao, Franck Wright, et Brigitte Fontaine) sont choisis pour tourner en France afin de persuader l'habitant que le " rock pas gaga " ça existe!

Pendant ce temps, Magma est donc en Hollande, secondé par des roadies (en plus de Loulou) tout à fait exceptionnels: Bob Ward et Tam, recueillis dans leur île lors d'un passage en Angleterre. Panique à bord! Le matériel est rangé en cinq minutes, montre en main, avec l'aide de quelques litres de bière, et l'on en sème un peu partout sur les routes. Ils jouent en revenant au Cheap Festival où ils se produisent dans des conditions épouvantables, noyés dans la boue. Le festival est tellement "cheap " qu' " on" décide de ne pas les payer, problème résolu par un aller-retour à la caisse même. Les organisateurs pensaient qu'un groupe français pouvait bien mieux se passer de rémunération que les groupes anglais. Prestige oblige.

Enfin le passage à Châteauvallon décide une bonne partie des musiciens, épuisés par les galères incessantes, à s'en aller. Faton, Seffer, Moze, Lasry et Toesca se retirent d'un commun accord.

Christian recherche aussitôt de nouveaux musiciens et les trouve... Jean-Pierre Lambert prend la basse, Jean luc Manderlier le piano, René Garber revient au sax, et Mickey Graillier joue le deuxiéme piano. Un mois de répétitions intensives (il faut tout reprendre à zéro, comme pour chaque changement de musiciens), et le baptême a lieu au Sigma de Bordeaux, qui est à l'époque l'un des seuls lieux en France à promouvoir des spectacles de haut niveau. Sept mille personnes dans la salle sont venues voir le " Magic Circus " et Magma. La troupe du Magic passe une heure seulement dans la salle bondée, au lieu des quatre heures prévues. Au-dehors une manifestation contre Nixon bat son plein, et les militants viennent s'installer en masse devant la scène. Les musiciens se reposent à l'hôtel, sans savoir qu'ils doivent commencer plus tôt. Klaus, qui est resté, monte sur scène et joue des percussions en faisant chanter les spectateurs. Le concert commence une heure plus tard, et les applaudissements sont recouverts de slogans antiaméricains. Passablement bourrés, des militants grimpent également sur la scène et l'un d'entre eux va voir Christian avec son litre de rouge, pour lui en offrir. Soit que Christian n'aime pas le vin, soit qu'il ne supporte pas qu'on l'importune quand il joue, le généreux donateur se retrouve sur le plancher qu'il n'aurait jamais dû quitter. Les slogans sont hurlés de plus belle, et s'y mêlent quelques " Magma facho... " assez désagréables. A noter que Zappa sera confronté à Berlin au même genre d'incidents et que lui aussi sera gratifié d'insultes hautement réprobatrices " Mothers of Reaction " (!). D'autres manifestants montent sur le podium, éjectés comme par un coup de vent par Loulou qui veut tuer tout le monde. Les insultes à Nixon se retournent vers Magma qui décidément a des manières vraiment fascistes. Les autres spectateurs agonisent d'injures les manifestants, et " Mekanik " est interrompu en plein milieu. On expulse les gêneurs, le concert reprend et c'est un triomphe. A la faveur de la relation de cet incident dans Le Nouvel Observateur , le public peut apprendre que Vander a déjà la gueule d'une pop-star (la mâchoire altière), et qu'il possède en même temps l'aura sexuelle (?) d'un Jimi Hendrix ou d'un Mick Jagger. On en apprend de tous les côtés...

A peu prés à la même époque, un concert qui a lieu à Douai se termine de manière encore plus sanglante. René Garber est venu se joindre au groupe pour l'interprétation de " Mekanik ", et, à la fin du morceau, quand le public commence à se disperser, un spectateur, plein de ce bon humour français qui nous vaut un prestige international, envoie sur Vander sa cigarette allumée. Hélas, ce dernier l'a vu au moment fatal, et il lui envoie par retour du courrier son tabouret de batterie dans la partie du corps oû siège, paraît-il, la pensée. Une trentaine de spectateurs, ayant déjà trouvé le concert trop cher, entonne alors l'air bien connu "Magma facho... Magma facho... ", assimilant dans un élan superbe et généreux les exterminateurs en masses des camps de la mort avec des musiciens qui pensent à autre chose qu'au bienheureux " Love and Peace ", et le proclament. Vander et Stundèhr sautent alors dans la salle en hurlant et à eux deux refoulent à coups de chaises l'attroupement des badauds. Un épisode de rapports tendus dans l'histoire d'un groupe pas "cool" du tout.

Il faut citer aussi un concert inoubliable à Bruxelles, le 24 décembre 1972. Il règne une grande agitation dans la salle où de nombreux spectateurs sont entrés en forçant les barrages. Sabotage! En plein morceau, quelqu'un sectionne les fils de la sono. " Mekanik " est interprété avec les voix seules et un piano acoustique.

Quant à " Rock Pas Dégénéré ", l'association a vite fait de s'écrouler. Les gentils organisateurs veulent autre chose; de l'anglais, même un peu faisandé, étant préférable à du cru local. Magma décide alors avec Gomelsky d'organiser lui-même des concerts plus importants, qui attirent de 800 à 1000 spectateurs par représentation. Côté musiciens, Gérard Bikialo remplace momentanément Mickey Graillier au piano et Marc Fosset vient jouer de la guitare.

Début 1973, Christian, Stundéhr et Lambert découvrent Janik Top, en train de répéter dans le groupe d'André Ceccarelli (Troc), à " La Bulle ", boîte parisienne. Pour eux trois, c'est une véritable révélation, à tel point que Lambert avoue sans fausse honte " C'est le bassiste qu'il vous faut ! " Christian est sidéré Top joue exactement dans l'esprit de Magma, utilisant même des plans de basse dont il n'aurait pas renié la paternité. Ils lui demandent aussitôt de se joindre à eux aux dépens de Lambert. Top accepte sans se faire prier. Il travaillait jusqu'alors à Marseille, dans des orchestres de bal, et il vouait une admiration profonde au groupe, bien que n'ayant jamais osé, d'un naturel très réservé, leur proposer sa participation. Il continue de répéter un certain temps avec Troc ; en travaillant sur " Mekanik Destruktiw Kommandoh " version intégrale, dont les répétitions viennent de commencer. Pour Klaus, Janik Top est le premier musicien vraiment à la hauteur (des hauteurs ?) àjouer dans Magma. Pour lui et Christian, Top tombait du ciel. " Top est la vie. Et peu de gens vivent. "

Magma part pour Oxford enregistrer les rythmiques de " Mekanik " avec Janik. Claude Olmos remplace Marc Fosset. Un quiproquo a pour résultat l'absence de Bikialo au moment des prises anglaises. Teddy Lasry revient pour l'enregistrement, et un choeur de femmes apparaît pour la première fois, avec Stella Vander. Les re-recordings se font au Studio Aquarium de Paris. Enfin l'album est publié. " Il leur dit comme leur mentalité est impure, car cet homme qui a analysé tous les problèmes terrestres et a compris vers quel abîme se dirige inexorablement l'humanité, est un humain. Il n'est pas une divinité, il ne se prend pas non plus pour telle. Les terriens ont pris connaissance de son existence, ils ont connaissance de ses idées et pensent qu'il n'est pas un guide mais un tyran.

" Philippe Paringaux préface la pochette, d'un texte magnifique. " Magma solitaire et hautain. Architectures idéales, métal et glace, gardiennes du brasier. Paysage immobile, sous un soleil gelé, pareil à un oeil pâle qui ne cille jamais. Tout au commencement, le silence de l'attente. Et puis, venu de loin encore, l'écho d'une pulsation sourde qui fait trembler la terre, les genoux et les mains. Il est temps de choisir, de fuir ou de rester."

Aussitôt après, en juin 1973, une tournée américaine, preparée par la maison de disques, est programmée pour la promotion de Mekanik. La troupe part au grand complet, avec trois pianistes. Quelques concerts au festival de Newport à New York en grande tenue, et la participation de deux excellents musiciens américains les frères Brecker au saxophone et à la trompette (futurs musiciens de Billy Cobham, entre autres) qui jouent sous la tutelle de Lasry, revenu spécialement. Au total quinze jours de concerts, dont l'un au Philharmonic Hall de Manhattan, à l'issue duquel le batteur de jazz Roy Hayers vient confier à Christian: << Man, you put me on the floor!>>Tintin en Amérique, ou les Kobaïens à la découverte du nouveau monde. Comme ils dînent dans un restaurant proche de leur hôtel, un vieux Portoricain fait irruption dans la salle en hurlant, poursuivi par un plus jeune armé d'un couteau. Ils traversent le snack, le plus jeune criant avec furie " Je vais te tuer, je vais te tuer... " Les autres dîneurs lèvent à peine le nez de leur maïs, et nos musiciens sont pétrifiés. Dans la rue, le jeune poursuivant exécute le vieillard. Tout s'est passé en une seconde. Un ange de la rédemption habillé en policeman arrive au pas sur un magnifique cheval. Il regarde négligemment la victime en mâchouillant son chewing-gum et repart appeler un corbillard. American way of life! Au festival, Christian retrouve Elvin Joncs qui le félicite lui aussi et lui procure une batterie Gretsch pour une somme tout à fait dérisoire. La moitié du public les applaudit, l'autre moitié qui venait écouter du " jazze " les boude. Le succès est d' " estime ", comme on dit.

A peine de retour, Magma repart pour l'Angleterre jouer au Festival de Reading. C'est le premier concert anglais, effectué dans des conditions épouvantables. Ils jouent devant 45 000 personnes, à trois heures de l'après-midi, avec le soleil de face. Au milieu du premier morceau, Christian est asphyxié, et obligé d'économiser souffle et énergie pour pouvoir continuer, ce qui n'est pas trop dans ses habitudes.

La réaction du public, habitué à ses groupes de rock music, est d'abord l'étonnement. A proprement parler, les Anglais sont choqués par cette horde étrangère qui joue la sauvagerie sans fard, et la démence sans guignol. C'est une ovation fantastique qui se déclenche à la fin du concert, et qui sera relatée par tous les journaux de musique en France. Reading est un point de départ important pour Magma; à peine sont-ils sortis de scène qu'une foule de gens viennent les féliciter et leur proposer d'organiser des concerts.

Le 30 septembre, Klaus part pour l'Allemagne, servir sa patrie, avec la ferme intention de la cocufier. Il passe vingt jours d'enfer dans l'hôpital psychiatrique de Fribourg et se fait finalement réformer pour troubles neurologiques graves. Les séquelles ne sont pas trop fâcheuses, bien que l'on remarque, de temps à autre, quelques symptômes inquiétants telle la présence d'un cendrier en cuivre Porto Cruz sur sa table de percussion, qu'il prend systématiquement pour une cloche. Après de nouvelles répétitions et un jeûne prolongé de Claude Olmos, Magma repart pour l'Angleterre, accomplir cette fois une tournée importante, juste à l'époque des pénuries (décembre 1973). Pendant les concerts, le courant s'interrompt, revient...

Peu après, en Allemagne, les conditions pour jouer sont loin d'être excellentes. La plupart des concerts ont lieu dans des universités où le climat qui règne, légèrement acide, ne colle pas du tout avec celui du groupe. A " Die Fabrike " de Hambourg, qui est une ancienne manufacture entièrement en bois, et l'un des plus beaux endroits pour un concert, ils font un tabac énorme, et là aussi, le public (allemand) découvre, sidéré, cette musique dont il ignorait totalement l'existence, et qui se rapproche, par certains aspects, de sa tradition musicale. Aujourd'hui encore, des spectateurs de ce concert continuent à suivre Magma dans ses déplacements allemands, venant parfois jusqu'en France quand le groupe reste trop longtemps loin des cieux germaniques.

Jour après jour, le public adhère de plus en plus à la musique et une quinzaine de fanatiques les suivent partout. Loulou, de son côté, n'en peut plus et craque en déclarant à propos des roadies britanniques " Ils sont vraiment trop cons, Ces rosbeefs! " A Londres, le groupe passe au Marquee une semaine et le Melody Maker s'enthousiasme, en la personne de Steve Lake ."Je n'ai jamais rien vu de semblable à Magma, et le groupe est si différent de n'importe quoi sur cette terre que la passion de la découverte quand vous les voyez pour la première fois est comme irréelle. Je n'ai jamais entendu les cavaliers de l'Apocalypse, mais j'imagine que le jeu de Vander doit donner une idée assez proche de ce que peut êtrre le grondement de sabots galopants d'un autre monde. De la pure énergie! Quelle passion!"

Au mois d'avril, Christian, Klaus, Top et Stella enregistrent version définitive de la bande du film Tristan et Yseult. Trois ans auparavant, Christian et Klaus travaillaient sur la preversion de " Mekanik " dans un studio. Ils venaient d'engistrer le second mouvement " Wurdah Itah " lorsque Laurent Thibault arriva. Celui-ci emballé emporte la bande en promettant de la rendre le lendemain. Il fait écouter la musique à un certain Yvan Lagrange, qui s'apprête à tourner Trîstan et Yseult. Séduit à son tour par la musique, Lagrange décide de l'utiliser dans son film. Christian n'est pas prévenu lorsque le film sort, et il s'aperçoit que c'est sa bande, pleine d'imperfections qui sert de musique pour le film. Scandale. Lui et Klaus exigent un disque pour refaire la musique convenablement, On leur accorde deux après-midi d'enregistrement et trois heures de mixage, soi-disant faute de fric ! En définitive, et malgré les promesses, c'est toujours l'ancienne bande qui figure dans le film, au demeurant assez ennuyeux, ne seraient-ce quelques belles images.

Après de nouvelles tournées en Angleterre et en Allemagne, a lieu, du 1er au 12 mai 1974, l'enregistrement du splendide " Kontarkohsz ", avec Christian, Klaus, Top, Bikialo, Graillier, Stella, et Brian Godding qui remplace Olmos à la guitare pour le disque. Première conception de " De Futura ", " Ork Alarm ", composé par Top, figure sur l'album " Coltrane repose en paix ".

Encore des tournées en Hollande, Angleterre et Écosse, avant que la Zeuhl Wortz s'installe à Avignon dans des maisons louées, pour une tournée d'été dans le Sud de la France. Suit une catastrophique tournée en Espagne, d'abord annulée, reconstruite au dernier moment, et extrêmement mal préparée. Magma joue dans des Plazas de Toros (quatre concerts au lieu de huit) et revient précipitamment en France, via Barcelone, Christian atteint d'une paranoïa aigué (Ils me poursuivent. Mais qu'attend donc le train pour démarrer, etc. "). Il est persuadé qu'il va arriver quelque chose d'affligeant. Arrivé à Avignon il se rue à sa demeure, enfourne ses affaires en vrac dans sa voiture, met le contact, et est pris d'une irrépressible envie de satisfaire certain besoin. Il sent qu'il ne faut pas redescendre. Hélas! on n'échappe pas à certaines nécessités. Comme il fait face au mur, la gendarmerie débarque. Les chèques de caution pour les locations des maisons ont été touchés, On lui saisit sa voiture.

Cette tournée est le coup de grâce pour les musiciens. La dislocation est inévitable et tous annoncent leur départ, sauf, bien entendu, Klaus. Dix jours avant trois concerts au Gibus, Top et Graillier rangent leurs instruments. Christian les persuade, la mort dans l âme si l'on peut dire, de jouer quand même, afin d'éviter de payer un dédit. Une nouvelle tournée en Angleterre est annulée faute de combattants, et, point final de la formation, un concert,t parmi les plus extraordinaires de toute l'histoire de Magma, a lieu à Colmar interprété par seulement quatre musiciens: Top, Bikialo Klaus Christian .Dans le groupe qui assurait a première partie, Asthme CongeIator, nos deux braves remarquent un guitariste extraordinaire assis sur une chaise, sa Gibson posée comme une guitare classique devant un ampli gigantesque. C'est Gabriel Federow, qu'ils contactent aussitôt rentrés à Paris.

A nouveau abandonnés, les deux intouchables recherchent des musiciens. Deux frères rencontrés dans une tournée (les Lockwood) proposent leurs services. Après quelques jours de travail a Hérouville, le pianiste, Francis Lockwood, est cordialement dirigé vers des cieux plus sereins, pendant que son frère Didier, violoniste, est accepté. Jean-Pol Asseline prend le premier piano, et Benoît Widemann, dont on admirera le travail infatigable et qui est alors âgé de dix-sept ans, le second. Image de la renaissance, Didier Lockwood, qui sort juste du Conservatoire avec un scintillant premier prix, est également très jeune: il vient d'avoir seize ans. Christian rappelle Bernard Paganotti, qui jouait avec lui dix ans plus tôt dans " Cruciferius Lobonz". Enfin, Gabriel Federow arrive avec sa chaise.

Le 9 février 1975, les concerts débutent, après quatre mois de répétitions à Hérouville et à Drancy. Nouvelle tournée anglaise, très acclamée, qui précède la série de cinq concerts àla Taverne de l'Olympia oû a lieu l'enregistrement du double album Live.

La musique est présentée en deux parties la première très dure servant à amener un état d'écoute possible. Klaus déclare au moment de la pause " Voilà, c'était pour extirper les mauvaises énergies; après l'entracte, nous allons jouer LA musique de Magma. " A l'époque, Klaus et Christian sont persuadés que les gens ne peuvent pas vraiment écouter la musique Magma sans s 'être débarrassés des couches obscures étalées par un quotidien médiocre. Ce jugement s'atténuera avec le temps, grâce à deux événements parallèles à la fois la progression spirituelle des musiciens et celle du public qui s'habituera au climat Magma, pour ne plus y voir, chez certains, le support d'angoisse que peut laisser une première écoute superficielle.

En France, la critique non spécialisée s'enflamme littéralement. Alain Dran, par exemple, de la République lorraine à Metz, laisse couler son flot d'éloges qui devient rapidement torrent. Si, pour lui, les références aux mystères d'egypte ne sont pas explicites, cela ne l'empêche pas de penser que " la troublante splendeur sonore exprime trop bien certaines pulsions de l'inconscient collectif occidental, en cette fin de siècle. Pour situer cette musique avec les mots, il suffit de recourir à l'enchaînement symbolique que suggère le label "Magma": elle est constamment parcourue d'un martèlement tellurique qui veut exprimer un rythme géologique primordial. Elle a la puissance éruptive des volcans qui ont modelé la couche terrestre. Elle coule, épaisse et traversée de luminescences glauques, tel un lourd et lent torrent de lave. Elle vous écrase comme un gigantesque monument de basalte. Peu de soli, encore moins d'improvisations: vous êtes entraîné dans un temple sonore, titanesque et baroque, aux rituels logiques autant que mystérieux."

Jean-Marc Bailleux, dans Rock & Folk, insiste, dans sa critique de l'album, sur Vander: " Vander a prouvé qu'il était un des tout premiers batteurs du monde, tant par sa technique époustouflante que par sa richesse musicale (peut-être actuellement un des très très rares dont on puisse apprécier un solo sans avoir des démangeaisons au bout de dix minutes). Mais heureusement, il n'y a pas que cela, c'est un grand MUSICIEN et il a prouvé qu'à travers tous les changements de personnel qui l'ont transformé, grâce à eux et (ou) malgré eux, Magma est devenu ce qu'il est, l'un des groupes les plus importants et les plus créatifs de la musique contemporaine, c'est-à-dire l'un des plus originaux en même temps que des plus énergiques, des plus forts.

" C est donc en juin 1975 qu'est enregistré le double album en public, fruit d'un travail qui se poursuivra jusqu'en septembre 1976 avec les mêmes participants. Créer une musique qui défie le temps. Le disque est édité chez R.C.A., maison américaine. On retrouve Stella sur l'album, présente comme elle le fut depuis les débuts. De fait, présence n'est pas un vain mot, puisqu'elle est la sœur de Christian. Successivement dans l'ombre ou la lumière, elle s'occupe du groupe, chante, en un mot existe, comme elle dit, pour et par le groupe. D'après ses souvenirs, Christian était aux débuts de " Magma " complètement possédé, se levant le matin en hurlant des discours kobaïens, tout animé d'une haine inapaisable (si Christian semble plus calme aujourd'hui, ce n'est heureusement qu'en apparence). Quant au python (curieuse affaire décidément!), elle s'en souvient évidemment très bien. Christian qui le promenait partout avec lui dans la poche de son manteau de fourrure (acheté pour le serpent!) prit un jour le métro en sa compagnie. Comme il faisait chaud, le doux animal, saisi d'un acces de fièvre, ou d'un simple accès de tendresse, décida d'aller s'en- rouler autour du cou de son illustre propriétaire, voir si l'air y était plus frais. Il y était tant, que le wagon entier, pris d'un subit frisson, décida d'un commun accord de s'exiler vers des contrées où la main du serpent n'avait encore jamais mis le pied, comme n'aurait pas manqué de l'écrire Ponson du Terrail.

Jusqu'en septembre 72, Stella s'occupe des éclairages, et passe ensuite au chant (qu'elle pratiquait en professionnelle quand elle était adolescente). Chanteuse, elle regrette que Christian n'utilise pas sa voix davantage "Il chante comme il joue ". Musicienne Magma, elle ne comprend pas que les musiciens qui sont passés dans le groupe n'aient jamais été jus- qu'au don total de leur personne (toujours à l'exception de Klaus, bien sûr) et de leur talent. Ce n'est pourtant pas faute de l'avoir dit. Bikialo, qui fut au demeurant un pianiste très important dans Magma, monstre d'assise, ne déclarait-il pas un jour, au cours d'une répétition, plaquant sur son instrument un accord " Je voudrais mourir sur cet accord".? Déclaration purement Magma, si l'on peut dire, comme celle de l'Umour pouvait être purement surréaliste.

En septembre 1975. Jean-Pol Asseline laisse la place à Patrick Gauthier, qui restera un an dans le groupe. Pour Klaus, Gauthier était un pianiste exceptionnel, et le personnage le plus musicien de cette époque, malgré un caractère extrêmement dépressif.

Nouvelle vague déferlante de tournées européennes successivement en Angleterre, Belgique, Hollande, Allemagne, Suisse, et un passage exceptionnel au Palais de Chaillot à Paris. A la fin du concert, Jean Giraud, un grand fidèle devant l'Éternel, vient présenter Alexandro Jodorowsky au groupe. Jodorowsky est subjugué et félicite chaleureusement chaque musicien, dans une fièvre toute mexicaine. " Tout était tlés bien, vlaiment tlès tlès blien, tlés beau, c'est magnifique, jé souis tlès content, c'est tlés beau. " C'était si bien qu'il propose à Magma de composer la musique d'une des parties de son film Dune qui ne verra, hélas, jamais le jour, faute de finances. En dépit de ce projet manqué, Jodorowsky, personnage occulte, restera toujours lié, de près ou de loin, à Magma.

Au mois de mai 1976 est enregistré au studio de Milan à Paris avec Janik Top à la basse, Mickey Graillier au piano, venus spécialement pour l'enregistrement, Paganotti et des musiciens extérieurs Pierre Dutour à la trompette, Alain Hatot au saxophone et à la flûte. La séparation est dans l'air, de la volonte de tous, juste au moment où Michael Lang, organisateur du festival de Woodstock, demande au groupe de participer au festival de jazz-rock du Castellet, le 24 juillet.

Michel Bourre (R & F) relate avec fièvre ses impressions: " Magma fait son entrée sur scène. Ils vont tout balayer sur leur passage, démontrant une fois de plus qu'ils sont un des plus grands groupes du moment. Ce sera terrible et grandiose. Effrayant de puissance et de précision. Magma brûle de l'intérieur, et le feu vient des yeux de Vander. Leur force est tellement évidente et tellement canalisée, épurée, qu'après eux, tous les " stylistes" semblent faire du tricot.

Enfin, le groupe du "Live " se retrouve, sans Lockwood, pour quelques concerts en novembre et décembre, pour cesser d'exister définitivement le 10 décembre.

Le quinze du même mois, Benoit Widemann reste avec Klaus le seul survivant. Les nouvelles têtes ont pour nom Clément Bailly à la seconde batterie, piano et chant, qui jouait dans le Triptyque dont nous parlions au début (Christian fit travailler la batterie à Clément il y a quelques annees.Guy Delacroix, bassiste d'Alan Stivell, et Jean de Antoni guitariste du méme musicien (ainsi que de Patrick Moraz). Il suffit d'un mois de travail, début 1977, pour que les nouveaux membres apprennent le répertoire, et que Clément perde dix kilos. La démonstration en est évidente, après une tournée bretonne, lors d'un concert magistral donné à Élancourt. Si l'on pouvait s'étonner au départ de la présence d'un second batteur, le spectacle convainc à lui seul. L'appui rythmique d'un deuxième percussionniste permet à Christian de jouer du piano et de chanter sur scène, ce qui n'est pas triste. Il présente lors de cette prestation un nouveau chorus de batterie dans lequel il se sert de sa voix pour commander les gestes, comme enivré de rafales de canon. Debout, il gifle ses cymbales, accomplissant sous un projecteur lunaire une danse de mort où l'on voit, sans que l'on puisse se croire sujet d'une illusion, les mouvements se métamorphoser en gestes d'attaques suicidaires et les cymbales en boucliers d'or, secoués de chocs d'une incroyable cruauté. Pour la première fois de son histoire, Magma dédie l'une de ses compositions à une rock-star: en l'occurrence Jim Morrison. En hommage au climat du " Riders on the storm" des Doors, Vander compose un " Morrison in the storm " qui est joué sur scène dès mars 1977. Un nouveau malentendu voit le jour à ce moment-là: un critique de rock prétendant que Magma joue désormais cette musique qu'il a pour profession de critiquer. L'association d'idées qui a amené cette sévère déclaration est en effet rigoureusement logique. Jim Morrison faisait du rock, Magma joue en hommage à Jim Morrison, donc Magma joue du rock. Le public, lui, ne s'est aperçu de rien, n'ayant visiblement pas entendu, sans doute à cause d'un mauvais réglage de sono, Klaus entonner " Long Tall Sally a dans " Mekanik " et " Je n'entends plus mes genoux qui craquent" dans " De Futura ".

Le 14 mai 1977, un grand concert parisien est donné au chapiteau de la Porte de Pantin, agrémenté, selon les voeux de son organisateur, Jacques Pasquier, de trapézistes et autres danseurs modernes qui égayent le spectacle de mouvements sans aucun rapport avec la musique. Il s'agit, comme l'annonce le tract, de mettre en scène les phantasmes de Magma. Malheureusement, le groupe n'a pas été consulté, et les prétendus phantasmes se transforment en fantômes embarrassants. La Télévision filme le concert, en prévision d'un film d'une heure pour la seconde chaîne. " Inédits ", un album de morceaux sort à la même époque, édité par Tapioca, une nouvelle maison de disques qui organise en même temps la tournée d'été (avec Léo Ferré, Gong et Bernard Lavilliers). Il s'agit d'une compilation de morceaux joués en public avec à peu prés tous les groupes ayant existé, et dans laquelle on peut enfin entendre en disque un chorus de Top. De mauvaise qualité technique, " Inédits "est le premier pirate Magma, un témoignage de la foi et du climat indissociables du groupe. Enfin, 1977 est une année trés importante pour Vander. Les signes précurseurs d'une grave dépression étaient apparus en 1976, à un moment où il s'était mis à penser que tous ses efforts ne donnaient rien, et que le public restait finalement indifférent AU FOND, à toute tentative de bouleversement dans son existence. Une absence totale de sentiments et d'amour autour de lui lui font pressentir à cette époque-là qu'un événement de première importance, à savoir son existence ou non sur cette terre, doit être annoncé avant le dixième anniversaire (juillet 1977) de la mort de Coltrane. 1977 correspond de plus au nouveau cycle de Magma, au terme de sept années d'existence intense. Une grande lassitude l'envahit, et l'envie lui prend d'aller s'asseoir au bord d'une rivière pour regarder l'eau s'écouler. Ce repos ne lui est pas accordé et l'eau se trouble àses yeux, charriant des bancs de poissons crevés fixant le ciel d'un oeil morne et indifférent.

Au fin fond du gouffre, au moment où il doit se passer quelque chose à tout prix (mars 1977), il rencontre l'Être merveilleux, et ses yeux vivants et son sourire d'ivresse. Une passion d'enfant (à SA mesure) l'envahit et les cieux se déchirent pour rouvrir l'espace. Le kobaïen n'a plus besoin de reprendre son satellite pour aller retrouver sa planète. Il sait qu'elle existe, et elle, l'autre, aux mille abords, lui fait désormais oublier le temps... pour un cycle nouveau sans horizon. Avec la création de Magma, la rencontre de l'Être s'avère être un nouvel axe, complètement bouleversant, comme l'avenir le prouvera, pour la musique de Christian... Un amour suprême. Permettons-nous, pour finir, d'ouvrir une parenthèse à propos de la fameuse histoire du disque des trois Jeff (Gilson, Seffer, Catoire) dans lequel Christian est présenté en vedette. En 1969, Christian reçoit un coup de téléphone de Jeff Gilson, qu'il n'a jamais rencontré. Celui-ci lui demande de venir participer àune petite séance à la Maison de la Radio, pour, dit-il, apprendre la prise de son à de jeunes techniciens. Christian y va pour gagner un peu d'argent, et la musique qu'ils jouent ce jour-là est complètement improvisée, de façon assez médiocre du reste. Son jeu plaît à Gilson qui le prend dans son orchestre pour quelques concerts. Fin de la première partie. En 1973, Gilson rappelle Christian pour lui demander cette fois-ci de venir jouer en solo plusieurs pièces de batterie, sur lesquelles il veut rajouter en re-recording de la musique et des choeurs. Christian y va et fait toute une série d'improvisations, dans lesquelles il joue très sobrement, en prévision des raccords futurs. Il enregistre, au total, cinq rythmes linéaires et deux chorus de batterie qui n'en sont pas non plus vraiment, toujours à cause des futurs enregistrements. Fin de la deuxième partie.

Trois semaines plus tard, nouveau coup de téléphone de Gilson à qui Christian demande que son nom ne soit pas écrit en plus gros caractères sur la pochette. Gilson est bien d'accord, et avoue qu'il trouve les deux chorus si beaux qu'il préfère ne rien rajouter dessus. Christian est ennuyé, il ne voulait pas faire de disque solo, il a joué dans cette optique-là, et le contraire se réalise. " Ne t'en fais pas, lui répond Gilson, ce sera de toute façon un disque confidentiel, que l'on donnera à des intimes à la fin des concerts. " 0K, Jeff, dit Christian, tu as carte blanche. " Blanche, elle ne le reste pas longtemps. Quelques mois plus tard, l'album sort dans le commerce. Le nom de Christian n'est pas plus gros que les autres: simplement, ils sont tous les quatre énormes et le sien est en premier. De plus un très beau portrait de Christian sert de pochette. Scandale, la loi oblige Gilson à faire coller une bande sur la photo. Comble d'horreur, le disque est classé au rayon Magma chez tous les distributeurs. Mais ce n'est pas fini. Un deuxième album sort, uniquement fait d'un long chorus, sur lequel un autre batteur (celui de Gilson) vient rajouter quelques petites choses. Le disque s'intitule " Christian Vander/Frank Raholison: Fiesta in Drums ". La musique est présentée comme un duo entre les deux musiciens. Comme si n'importe qui publiait un livre où il répondrait à des extraits d'un grand écrivain: " Chateaubriand et Machin : l'écriture est une fête! " Fin du fln, la deuxième face présènte un chorus de Raholison, où ce dernier plagie carrément des plans enregistrés par Christian. out ça pour prévenir les lecteurs naïfs qui risqueraient, sait on jamais, de se faire dévorer par le grand loup Gilson. Pour clore ce chapitre, un léger regard en arrière, en parallèle avec la situation actuelle, est nécessaire. Quand Magma naît, en 1969, la scène française, si elle existe en tant qu'identité propre (?), est une scène de rock traditionnelle sur laquelle viennent se greffer un certain nombre de groupes qui sont supposés révolutionner tout et dont les plus connus ont pour nom Triangle, Martin Circus, et, en 1970, Ange.

Le Triangle s'affaisse rapidement pour cause de desequilibre pendant que Martin Circus suit sa voie pour aboutir en 1976 àl'éblouissante composition qui sert de générique aux piles... Vander! Ange travaille de son côté dans le respect de sa musique et regroupe aujourd'hui une bonne partie du public français, pendant que Magma conquiert la sienne. Deux ((familles " musicales coexistent donc aujourd'hui en France, là encore agrémentées de groupes, qui, on ne s'en fait pas, vont tout révolutionner bientôt

En ce qui concerne Magma, la " famille " croît sans cesse a par alliances, grâce aux musiciens passés un jour ou l'autre dans le groupe, et qui offrent au public de nouvelles tentatives, guère toutes heureuses, mais en tout cas axées sur une recherche musicale et un esprit. Les noms défunts ou bien vivants de: Troc; Zao à ses débuts, Hamsa Music, Nefesh Music, Weidorje... sont là pour illustrer ce fait. Au total, plus de la moitié environ des groupes français importants peuvent être dits influencés par la forme si ce n'est plus le fond. C'est aussi à cela que l'on mesure le travail de musiciens comme Vander.

Que dire de plus? Le chapitre d'ouverture peut-il se clore t- sur un jour déterminé?

L'histoire de Magma ne fait que commencer, et nous savons que ni l'absence ni la mort ne pourront enrayer un processus qui surgit des parties les plus secrètes de l'esprit. Depuis une dizaine d'années, une troupe de musiciens le proclame, au milieu du défilé des modes et des confusions. Histoire déjà meurtrière; les masques collés à la peau ne se déchirent pas sans douleur et le soleil ne. gagne pas à être regardé de face. L'adhésion à Magma n'est pas affaire d'humeurs, c'est un monde qu'il faut rejeter, un monde mort envahi par la désolation, où la pureté a été massacrée dans les abattoirs du quotidien.

Peu à peu, l'on commence à comprendre que l'agressivité, la haine de Magma ne servent, en tant qu'étape de transition obligatoire pour laver les cerveaux, qu'à indiquer, d'un regard fébrile, cette réalité autre vers laquelle il est de la première urgence de se tourner. Pour reprendre le mot de Lautréamont en changeant les termes, la littérature devenant musique, on pourrait dire que cette musique sublime ne chante le désespoir que pour opprimer l'auditeur, et lui faire désirer le bien comme remède ". Depuis une dizaine d'années, la rage dont participe l'oeuvre se fracasse tous les jours sur les remparts de l'indifférence, les ébréchant de plus en plus, sans que sa résistance s'en trouve altérée. Nous ne saurions rendre meilleur hommage à ces hommes qu'en déclarant une nouvelle et inlassable fois que la beauté de Magma est née, et qu'elle est née de la souffrance... " Quand nous jouons, nous offrons notre coeur... "

                                                                                                Suite...